Voies de fait en collaboration

 

 

Ah, et puis merde !… Adieu Babylone.

J’ai fait demi-tour au carrefour de Union Street et je suis reparti en direction de la morgue. J’avais beau essayer, je ne pouvais pas laisser ce vieux Pilon tout seul pour que ces brutes s’amusent avec.

La place de Pilon était libre, de l’autre côté de la rue, en face de la morgue ; alors, je me suis garé là. J’ai regardé tout autour de moi pour voir si j’apercevais la voiture des grandes brutes ; mais je ne l’ai vue nulle part. Je me suis glissé hors de l’auto comme l’ombre d’une peau de banane, et je suis entré d’un pas rapide dans la morgue : pratiquement anonyme.

J’avais la main dans ma poche de veste et je tripotais le pistolet chargé. J’étais prêt à toute éventualité et, nom de Dieu, je voulais découvrir pourquoi ces types volaient des corps à la morgue. J’allais tirer au clair ce qui se passait.

C’est pour ça que sont faits les détectives privés, et si ça m’obligeait à être un peu sec, ça ne jurerait pas dans le tableau.

J’avais traversé la moitié du hall en direction de la salle d’autopsie ; tout d’un coup, j’ai entendu le bruit de quelque chose qui s’écroule, suivi d’un gémissement. Ces fumiers étaient déjà en train de s’occuper de ce pauvre Pilon.

Ils allaient me payer ça.

Je suis resté debout derrière la porte, le pistolet à la main, prêt à bondir pour faire une belle surprise à ces types. J’ai entendu un autre gémissement et, à nouveau, le bruit d’un truc qui s’écroule. Il y a eu quelques secondes de silence, et puis un cri épouvantable :

AAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !

Ce bruit venu d’enfer a été le signal de ma grandiose entrée en scène.

J’ai bondi dans la salle d’autopsie : là, m’attendait un sacré spectacle, un peu comme une espèce de carte de vœux bizarre. Tout d’abord. Pilon était assis à son bureau, une tasse de café à la main. Il était détendu et frais comme l’œil. Il n’a même pas eu l’air surpris quand j’ai voltigé dans la pièce.

« Bienvenue à la fête », dit-il, comme s’il avait été l’hôte, en me montrant d’un geste les activités qui se déroulaient dans la pièce. De nouveau, un cri à glacer les sangs : « AAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHH ! Me remettez pas là-dedans ! Pour l’amour du ciel !

AAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !

AAAHHHHHHHHHHHHHHH ! »

Dans le coin de la salle d’autopsie, il y avait le corps de l’un des truands. Il était très inconscient. On aurait dit qu’il se préparait à hiberner.

Le sergent Rink était debout à côté de la porte ouverte d’une glacière à morts. Le deuxième truand était allongé sur le bac, les menottes aux mains. C’était lui qui poussait tous ces cris. On l’avait enfourné à quatre-vingt-dix pour cent dans le frigo à morts et il n’aimait pas ça du tout. Tout ce qu’on en voyait, c’était son visage ; on aurait dit qu’il allait tomber fou tellement il avait la trouille.

« AAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH !, hurla-t-il.

— Allez, encore une fois », dit le sergent Rink. « Qu’est-ce que vous avez. Bordel de Dieu, à piquer des corps partout comme ça et à essayer de tabasser des employés de la morgue qui se trouvent être des copains à moi ?

— Je vous dirai tout ce que vous voulez, mais ne me mettez pas là-dedans avec les morts », dit le truand. On le comprenait. C’était pas un endroit tellement agréable.

Je n’aurais pas voulu être dans ses sabots ; qui devaient d’ailleurs commencer à refroidir.

Le sergent Rink l’a tiré un peu, jusqu’à ce qu’on aperçoive sa boucle de ceinture.

« C’est mieux comme ça ?, dit-il au truand.

— Oui, merci », répondit la brute dont le visage s’éclaira soudain, soulagé.

« O. K., l’insecte. Accouche. »

Le sergent Rink avait la réputation d’être un flic très coriace et il était à cent pour cent à la hauteur de sa réputation. Vraiment, je lui tirais mon chapeau. Dommage que Babylone m’ait si complètement absorbé quand je suivais les cours de l’école de police avec lui. On aurait pu devenir collaborateurs tous les deux. L’idée me plaisait bien.

Enfin, Babylone aussi me plaisait beaucoup, alors…

Même si ça rendait la vie un peu difficile, je ne regrettais pas du tout de rêver tout le temps à Babylone.

Le sergent Rink était tellement occupé à interroger la brute qu’il n’avait pas réagi à mon entrée en voltige dans la salle d’autopsie, un pistolet à la main ; ou bien alors il avait vu que c’était moi et que ça n’était pas la peine de me prêter attention.

Mais voilà que maintenant il me regardait.

Il avait détourné son attention du gorille qui venait de se transformer en canari.

La brute a entamé une phrase : « J’ai été engagé…

— Ta gueule, toi, le cafard », dit le sergent Rink, en faisant attention à moi. Le « cafard » a fermé sa gueule. Il n’avait pas envie de passer la nuit dans le congélateur avec les rares corps qu’il restait encore à la morgue et qui s’étaient débrouillés pour ne pas se faire voler ce soir-là.

« Salut, Card, dit Rink. C’est pour quoi faire le pétard ? Et d’abord, qu’est-ce que tu viens foutre ici ?

— Ben, je passais voir Pilon comme ça, et j’ai entendu de grands bruits. Je me suis dit qu’il devait se passer quelque chose parce que c’est des morts qu’on garde ici en général, des gens qui ne fichent pas la pagaille ; alors je suis entré, prêt à intervenir Qu’est-ce qui se passe ? », dis-je, en priant Dieu pour que Pilon ne se soit pas mis à table et n’ait pas raconté que j’étais l’un de ceux qui avaient emporté un corps tout frais pour le mettre allègrement dans le coffre d’une voiture.

« Mis la main sur des vampires, là, tu vois, dit Rink. Ils ont fauché deux corps à Pilon et puis ils sont revenus et ils ont essayé de le tabasser pendant qu’ils en piquaient d’autres. Ces fils de pute. Alors depuis un moment je leur fais un cours sur le thème " Le Crime ne paie pas ". »

Il a négligemment repoussé le truand dans le réfrigérateur jusqu’à ce qu’on ne voie plus que ses yeux : ils nous regardaient fixement.

Commentaire hurlé du truand qu’on repoussait dans le réfrigérateur :

« AAAHHHHHHHHHHHHHHHHHHHH ! »

« Tu vois, le crime ne paie pas », dit Rink au truand en enfonçant complètement le bac dans le compartiment et en fermant la porte. En entendait les cris étouffés qui sortaient du réfrigérateur.

« aaahhhhhhhhhhhhhhhhhhh… aaahhhhhhhhhhhh hh… aaahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh… »

Le sergent Rink est venu vers nous se verser une tasse de café-morgue. « Je vais le laisser là-dedans cinq minutes. Qu’il se calme un peu. Ce fumier ne volera plus de cadavres quand j’en aurai fini avec lui, je vous garantis. »

Rink a bu une gorgée de café. Il n’a même pas fait la grimace. La vache, c’était vraiment un flic coriace. On continuait d’entendre des cris étouffés qui sortaient du congélateur.

« aaahhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh… »

… et ainsi de suite.

Ça n’avait pas l’air de déranger Pilon ni Rink ; alors, moi, je n’y ai pas fait attention non plus.

Un Privé à Babylone
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